S C A R A B O S S E
--> Qu'entends-je? ENFIN une macrophotographie digne de ce nom, sur laquelle figure un être vivant, aussi minuscule soit-il? Effectivement. La chatouilleuse du déclencheur que je suis a pu pallier en Alsace le manque de nouveautés bestiales avec cette séance de prise de vue coléoptéresque. Sur ce cliché, un geotrupes stercorarius alsacien, bousier pour les intimes, ne s'étant d'ailleurs pas montré des plus coopératifs... Étant de plus en plus perfectionniste, il m'aura fallu plus de deux heures pour obtenir, sur cent cinquante captures, celle qui sort définitivement du lot. La patience est mère de toutes les vertus!
Le jour où je suis morte #5
S A N A T O R I U M
Il est vrai que j'ai toujours pensé faire partie de ces personnes contemporaines, de ces gens objectifs et bavards se dédoublant volontiers. Loin de moi l'idée de flirter avec la schizophrénie, chez moi, ce sont simplement deux personnalités qui cohabitent : la Lise qui vit et l'autre Lise, celle qui subit, qui observe. Celle qui rit, qui épluche et juge très rigoureusement chaque situation traversée. Tandis que la Lise qui se contentait de vivre s'était extasiée de voir la neige tomber, avec la béatitude sincère de celle qui aurait pu ne jamais plus avoir cette chance, l'autre commençait à trouver le temps long et pesait méticuleusement ses mots en tentant d'exprimer sa lassitude. Les deux étaient pourtant d'accord et s'étaient dès le départ sagement appliquées à reconstituer la matière grise qui les liait.
Trois mois. Trois mois loin des miens, loin de moi-même, trois interminables mois passés coffrée dans cette saine cellule opprimante. Trois mois. Cents petits-déjeuners sans appétit, cent cinquante paires de pattes mollement traînées jusqu'à la salle d'ergothérapie, deux cents coups de fil douloureusement amoureux le soir, trois cents logigrammes réitératifs, cinq cents tasses de café insipides, sept cents larmes versées, mille et un soupirs. Voilà aujourd'hui trois mois que je n'ai pas le choix, que je suis parquée à deux cents kilomètres de chez moi dans un établissement qui, à présent, tient bien davantage à mes yeux de l'asile que du centre de rééducation. Trois mois que je n'ai personne avec qui tenir une conversation décente, que l'on ne me donne la permission de souffler que trente-deux heures dans la semaine, que je fais inconsciemment de déchirants adieux à ma tribu chaque dimanche soir. J'ai beau revendiquer ma miraculeuse récupération, affirmer qu'elle est désormais complète, l'éprouver, le prouver à travers d'inquantifiables exercices et bilans neuropsychologiques, rien n'y fait. Chaque matin, ce sont mes vingt ans de douleur, mes cent soixante-dix centimètres de tristesse et mes soixante-cinq kilos de tourments qui se heurtent à la même barrière insurmontable. Je manque terriblement d'oxygène. Trois mois que mes repères sont eux aussi séquestrés au coeur de ces quelques murs et lourdes dalles de béton qui composent le département des blessés crâniens de Berck. Cette fois, j'en suis sûre ; c'est bel et bien l'hôpital qui me dicte la conduite convenable, le même hôpital qui me réenseigne le subtil art des conventions. C'est ce sinistre sanatorium qui me réapprend à vivre. Et ce n'est pas la Lise qui vit mais bien celle qui juge qui a peur. Oui, j'ai peur. Peur que mon retour à la réalité soit brutal et violent, qu'il s'effectue sans ménagement, sans transition. Peur de la dépression, de l'agoraphobie, peur de reprendre les cours, de ne pas être capable de les suivre et d'en prendre note. Peur de toutes ces choses dont m'a mise en garde mon alarmiste de neuropsychologue. Je me sens terriblement mal. Je suinte d'émotions diverses par tous les pores de ma peau et je ne sais comment les transmettre. Je suis accablée, minuscule, insignifiante. Je suis dramatiquement impuissante.
"Vi tänder ett ljus för dig varje kväll..."
Un courant de sympathie soulève une vague de personnes se disant incontestablement touchées. Ma famille, mes amis et professeurs, bien sûr ; les amis de mes proches, des connaissances depuis longtemps perdues de vue. Du respect et de la pitié, beaucoup ; de la compassion, surtout. Je ne compte plus les jolies cartes que je reçois et que je peine à lire ni les nombreux cadeaux que l'on me transmet et qui s'entassent sur ma table de chevet. Ce courant s'avère rapidement véridique et désintéressé pour certains, malsain et vicieux pour les autres. Je fais promptement le tri entre deux types de personnes : bien pire encore que ceux qui ne cherchent pas à comprendre, il y a ceux qui pensent avoir compris. C'est cette deuxième catégorie que j'arrête immédiatement. Symboliquement, je me promets de ne plus écrire à ces gens que je pensais pourtant sincères et dignes de confiance. Trahie, je les raye de mon épais répertoire mémoriel, récemment restitué par Mère Nature avant de regagner mon alcôve.
Et c'est alors que, après avoir ruminé toute la nuit durant, la Lise qui juge décide un matin de prendre les choses en main et, pour ce faire, les devants et le dessus. Elle muselle et bâillonne la Lise qui vit avant d'entrer dans la salle d'ergothérapie. « Lise, je suis de votre avis. J'ai bel et bien fait le tour avec vous. » lui répond son ergothérapeute bienveillante. La Lise qui juge n'aura donc plus à rire de la Lise qui vit, cherchant Charlie à ses heures perdues. Elle continue sur sa lancée et tient le même discours à son enseignante, Hélène, entreprenante et un peu plus sûre d'elle. Puis vient le tour de la neuropsychologue, de la kinésithérapeute, de la monitrice d'activités physiques adaptées, de tous ces attachants personnages qui ont choisi de dédier leur vie aux gens qui, à long terme, n'ont pas eu ma chance.
J'ai malgré tout mes limites. Voilà qui est désormais mûrement réfléchi. Je m'échapperai de cet hospice le 11 mars, avec ou contre avis médical.
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16 commentaires:
Tout d'abord, ta photo. Ce petit scarabée. Magnifique. A mi-chemin entre un bijou précieux et rare et un guerrier chinois paré de ses + beaux atours. Cliché sublime. Arrière plan flouté. 1er plan tout en finesse, en détails et en couleurs.
J'aime les scarabées depuis toute petite. Animal merveilleux, précieux, coloré, mythique et légendaire. Métallisé. Au reflets irisés.
Nouvelle "brillante" d'Edgar Allan Poe. Symbole égyptien. De la vie éternelle. Emblème des prêtres égyptiens. Que j'ai en bagues, pendentifs, en objets, en tatouage. Je l'ai dessiné pour l'avoir à jamais sur ma peau. Au fil du temps, il est l'ombre de lui-même mais il est tjs. Envers et contre tout. Une partie de moi, une partie de mon âme, un symbole de vie. Un symbole à part entière. Chacun son histoire. Ses bleus à l'âme.
Un symbole pour toi aussi. Ta renaissance. "Du fumier" à la vie.
De l'ombre à la lumière.
Ton combat, ta force, ton courage, malgré tes doutes, tes peurs ... Ta foi dans la vie, en toi, ta foi envers les tiens (les vrais), ton amour pour la vie, pour toi, pour tout, pour les tiens.
Admiration encore et tjs pour toi, ton combat, ta force, ta vie, ...
Je t'embrasse de tout mon cœur.
Un instant Figé sur une créature fascinante "un Alien" sortis d'une vision hallucinée du romancier Robert A. Heinlein qui a écrit "Étoile au garde-à-vous!"ou (Starship Troopers)
Voila une belle photo qui n'est"pas piquée des Hannetons " hihi !
Il en faut du courage, pour faire ce voyage au coeur de la mémoire" Débroussailler " pour éviter les risques d'incendies et pour se reconstruire !
@ 666 : ma sorcière, si tu veux bien me transmettre ton adresse postale, je me ferai un plaisir de t'envoyer un exemplaire de ce scarabée. Je suis ravie qu'elle te plaise, j'y ai mis tout mon coeur et je me suis acharnée pendant de longues heures, jajaja! Tu as saisi le symbole que ce petit insecte attendrissant vu de près représente pour moi, et tu lis entre les lignes, tout comme aristidenix!
@ aristidenix : mon espace virtuel m'a permis de rencontrer des perles, et j'en avais grand besoin après une expérience si traumatisante. J'en parle autour de moi, bien sûr, mais ça n'est pas pareil. Tu fais partie de ces perles, de ces gens exceptionnels, altruistes, sensibles et artistes. Tout comme 666, AMBre, Bod' et Emma, vous me lisez véritablement. Je suis tellement heureuse de vous avoir dans ma vie! Merci de me lire et, surtout, de me comprendre. Vous êtes de Grandes Âmes.
La photo est tout superbe.
Je suis tout simplement impressionnée, admirative devant ta persévérance. Que ce soir pour la photo ou ces épreuves que tu as dues traverser.
Je n'écrirai pas de plus long commentaire, je crois que je ne pourrai pas en dire plus. Bravo à toi et ton courage...
@ NsL : de tout coeur, bienvenue dans les méandres de ma mémoire, de mon histoire et de mes clichés. Je ne peux que te remercier. Merci d'avoir pris la peine, le temps de lire ce billet, de commenter la photo ainsi que le texte. Merci infiniment.
Cette photo, bon sang... Dieu qu'elle est belle. Visiblement, ça n'a pas été simple, visiblement, mais ça valait le coup... Splendide.
La douleur par définition, on ne peut la comprendre : elle est personnelle, en rapport avec soi-même, ou aux liens que l'on tisse. Ce n'est pas parce que l'on a pu sentir les gouffres de la solitude, le sentiment de chuter toujours plus profondément, que c'est exactement la même souffrance pour l'autre. Bien malin, celui qui dit parfaitement comprendre, ce n'est pas ça l'empathie sincère.
Tes mots sur tes maux sont forts, sensibles et justes. Ils touchent dans le mille, et il n'y a pas de mot pour ça.
Courage.
@ galien : bonjour Galien. Je suis enchantée de faire ta connaissance à travers des mots si justes. Merci beaucoup. Tu as tout à fait raison, il n'y a pas d'échelle dans la douleur, mais une certaine relativité s'impose parfois, jajaja!
Je cours immédiatement découvrir ton espace virtuel.
Merci de me lire.
Tes photos sont Autrement belles, Ulvinne, celle-ci t'a demandé de la patience, de l'attente du moment idoine... mais le résultat est exceptionnel.
Et je ne dis pas cela pour te passer la scarabrosse dans le sens du poil :)
Je vois que Galien a déboulé dans ton blog et je m'en réjouis car c'est un garçon et un artiste que j'apprécie beaucoup, et il est si gentil ! Et j'aime son franc-parler aussi.
Je me suis aperçue en visitant le blog de Thomas que ton avatar avait changé, mes yeux ont été aussitôt attirés, tu imagines, et là je peux te le dire en toute sincérité : j'ai ressenti une fierté très profonde, pas celle qui veut en jeter à la face du monde, mais celle qui dit merci de ce signe véritable de reconnaissance ! Bisous à vous trois.
@ AMBre : merci à toi, ma petite fée, pour tout ce que tu m'apportes. Je sais que tu ne veux plus l'entendre, et pourtant... Ce mot t'est synonyme. Tu es un ange, mon ange gardien. Je suis tellement heureuse de t'avoir dans ma vie!
OMG ! Ta photo est une perle ! De chez les perles !
Pour ce qui est du reste, tu sais tout ce que j'en pense, je crois. Pour moi, tu t'en es sortie comme un chef même émotionnellement. C'est pas facile et tu l'as fait ! T'as eu ta licence, t'as commencé les études qui te faisaient rêver, t'as repris la photo (et vu ce que tu nous sors, tant mieux *-*), tu es maman... Tant de choses ont changé, toi aussi d'ailleurs. Bien sûr parfois tu doutes de toi, mais eh... Le doute est signe de sagesse (a)
Ton texte est poignant, je t'imagine là-bas en mode "légume" et je sais pas si ça devrait me faire aussi mal qu'à l'époque où t'y étais, mais ça n'est pas le cas du tout ! Parce que t'es là, maintenant, et c'est un putain de cadeau <3
@ Bikou : ... je ne sais que dire. Je suis ultra émue... Merci, merci, merci, Koubi chérie! <3
J'ai bien reçu "GRATIS", elle m'attendait au retour de Paris, elle est à côté de moi sur mon bureau et mes yeux se posent très souvent sur elle.
Tu es entrée dans ma vie aussi, vous y serez toujours...
Merci.
J'ai le droit de dire que je suis sur le cul en regardant ta macro ? ;) elle est magnifique ! bises.
@ Elisabeth : les mots les plus spontanés sont souvent les meilleurs! Merci, Elisabeth! :-)
plus le temps passe, plus tes photo sont belle! tu m'épatera toujours, tu es une véritable artiste ma belle!
et le texte! a quand le livre hein?
très gros bisous à toute la famille
@ Laurie : merci ma belle, cette qualification d'artiste me va vraiment droit au coeur.
On t'embrasse très fort.
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